Le Monde 21/09/2000
  
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Coup de jeune sur Lisbonne

Jamais depuis le séisme de 1755 la cité du Tage n'avait connu autant d'innovations urbaines, opérées jusqu'ici sans nuire au legs du passé. Zigzags entre l'Océanorium, la mosquée, le parc des Nations, les chantiers.
 
Mis à jour le mercredi 20 septembre 2000

LISBONNE de notre envoyé spécial

Trêve de zelliges, foin de morue en cent recettes, assez de tramways et d'ascenseurs façon Eiffel, basta de fenêtres manuélines, moratoire pour Pessoa ! Lisbonne n'en est pas à jeter dans le Tage ses appâts traditionnels mais elle veut entrer rajeunie dans le troisième millénaire ; elle se fait donc tirer la peau, elle dégraisse ses artères, dénoue ses cheveux, dévoile ses jambes et son corsage. Les Lisboètes, qui croyaient en être quittes après les « grands travaux, grands embêtements » de l'Expo 98, n'en finissent plus de voir un trou sans fond place Camoens ; des barrières sur l'esplanade du Commerce et des palissades sur celle du Rossio ; l'antique embarcadère sur la mer de Paille, avec ses colonnes phalliques, mi-vénitien mi-stambouliote, englouti sous d'incompréhensibles remblaiements.

Le remue-ménage est général, le paysage bouge : au flanc de la colline dominant les jardins Calouste-Gulbenkian et la statue du mécène arménien, un minaret hélicoïdal, vieux rose mais neuf, a été planté par les architectes Antonio Maria Braga et Joao Paulo Conceiçao, révélant le pan islamique de la lusophonie ; les gratte-ciel hydrocéphales des Amoreiras forment, eux, le temple de la déesse Consommation, laquelle a encore au Portugal quelques charmes de la nouveauté. Un deuxième aérodrome sera bientôt impératif car l'actuel est dangereusement cerné par l'urbanisation galopante : la conurbation englobe deux millions et demi de résidents. Elle escompte cette année le même nombre de voyageurs étrangers.

Cependant, le vrai chambardement urbain et urbanistique est un peu plus à l'orient, desservi par la gare de ce nom, cathédrale translucide avalant trains et métros rapides, nickel. Le site de l'exposition mondiale s'est mué en « parc des Nations », quartier inédit de 300 hectares : résidentiel (20 000 âmes dont un quart déjà présentes) ; actif (6 000 emplois déjà occupés) ; ludo-culturel avec le plus spectaculaire Océanorium du monde et des attractions comme le circuit Camoens mariant grandeur d'hier et techniques de pointe ; politique enfin avec l'installation attendue du premier ministre sous le vertigineux voile de béton de l'ancien pavillon portugais, dû à l'architecte vétéran Alvaro Siza Vieira.

  VOGUE VERTE Tout a été prévu, des écoles à l'hôpital, du téléphérique longeant le fleuve aux vélos de location, des hôtels à l'immense galerie commerciale Vasco-de-Gama dotée de verrières parcourues d'eau fraîche pour économiser la clim, tout sauf une église. « Un terrain avait été réservé, indique Antonio Mega Ferreira, président du parc des Nations, mais l'Eglise n'a même pas envoyé quelqu'un le voir... Lisbonne se déchristianise. » Seule présence spirituelle, si on peut dire, la façade en simili-pierre de la basilique Saint-Paul de Macao, ci-devant pavillon du comptoir luso-chinois, perdue au mitan de ce royaume de l'esthétique industrielle.

 En revanche, la vogue verte triomphe avec, partout, exaltant le rôle d'agitateur botanique des explorateurs portugais, les végétaux des cinq continents, jusqu'à un olivier local de 800 ans transplanté et un gros pistachier atlassique envoyé du Sahara algérien ; en sus, est en cours de plantation un bois de 70 hectares passant sous les premières arches du pont Vasco-de-Gama dont les 17 kilomètres s'élancent de cette « Nova Lisboa », où s'alignaient naguère abattoirs, raffineries et décharges. (Au sujet du pont, on rappelle aux visiteurs de Paris « que deux ingénieurs français, Jérôme Corneille et Etienne Muller, sont morts pour sa construction » .)

Il faut remonter au milieu du XVIIIe siècle, après les tremblement de terre et raz-de-maréeravageurs de la Toussaint 1755  (40 000 victimes selon Voltaire) — ce malheur permit à Pombal, ministre de José Ier, de donner à Lisbonne un centre aéré tout en angles droits, la Baixa —, pour trouver ici des bouleversements monumentaux comparables à ceux de maintenant. Le séisme, cette fois, aura été l'entrée du Portugal dans l'Union européenne, le retour d'une nation vers sa matrice continentale à laquelle elle avait préféré, depuis plus de cinq cents ans, de captivantes aventures outre-mer. Il a donc fallu mettre la capitale au diapason de la modernité occidentale.

  LA FOIRE DE LA vOLEUSE Du coup, au parc des Nations, les Portugais sont peut-être en train de réussir une Villette mais avec des habitants, une Défense mais sans gigantisme glaçant. Le succès populaire, accru sans nul doute par les facilités (payantes) de stationnement, est patent, pour l'instant, avec, en 1999, 1,2 million d'entrées (payantes également) au seul Océanorium (dont 35 % d'étrangers en été). Les gens se sont assez vite trouvés chez eux entre ces espaces et ces murs, certes sentant encore trop le décoffrage, mais d'emblée familiers par l'emploi, entre eux, de la fameuse calçada portuguesa, ces minipavés de calcaire métamorphique ou de basalte, pas toujours commodes mais jolis à l'oeil, et véritable marque de fabrique lusitane de Timor au Brésil via la métropole. Les noms des voies, tout un poème, ont plu également à ce peuple qui, selon les chiffres bruxellois, est celui des Quinze achetant le plus de recueils de poésie : avenue Mar-Vermelho ou du Prince-Parfait, rue du Safran ou des Argonautes.

Le Parque dos Naçoes rééquilibre Lisbonne, donnant un pendant aux frondaisons de Monsanto et au Centre culturel (500 000 visiteurs annuels dont 36 % de jeunes) construit il y a dix ans à Bélem (Bethléem). Entre ces deux piliers contemporains que sont Bélem et les Nations, consacrons un moment à un endroit sans âge de cette ville, à un lieu où vieilleries et jeunesse cohabitent de longue date, anarchiquement : la Feira da Ladra, « la foire de la Voleuse ». Entre un tribunal militaire rosâtre et un panthéon national blême, sur une pente des plus raides vouée à l'austère sainte Claire, s'accrochent les puces lisboètes où les brocanteurs proposent aux curieux, collectionneurs et maniaques, tous les objets kitsch, militaires, anticléricaux, calotins, obscènes, cucul-la-praline, coloniaux, possibles et imaginables ; y compris les Lectures françaises, que Salazar prescrivait aux lycéens, le Larousse écorné de La Cuisine des conserves et surgelés, les premières versions portugaises de Flaubert ou Marx, des gravures à la fois romantiques et cochonnes ou encore d'authentiques azulejos tricentenaires au bleu éternel.

Les jeunes couples à la page, accros de la Nouvelle Economie qui ont acquis à crédit au parc des Nations, des appartements presque aussi chers que dans le coeur historique de la cité, viennent chercher chez la Voleuse « de quoi donner un peu de patine à notre logis empestant la peinture acrylique... » A chaque niveau, petit à petit, Lisbonne, en ronchonnant modérément, digère ses agrandissements qui ne sont pas tous, ce serait miraculeux, des embellissements. Là-bas, dans les arbres coûteusement plantés adultes, près de l'interminable nouveau pont à voilure de caravelle, les cigales, après les oiseaux, ont élu domicile cet été. C'est quand même bon signe.

  Jean-Pierre Péroncel-Hugoz


Une « rade paisible » au passé tumultueux

Mythologiquement fondée par Ulysse, phénicienne de nom — Alis-Ubbo, « rade calme » —, vantée par Ovide, Idrissi, Cervantès, Larbaud, Pessoa et Queneau, la capitale portugaise paraît justifier son appellation antique. Dans Histoire de Lisbonne (Fayard), Déjanirah Couto, de l'Ecole pratique des hautes études de Paris, montre au contraire combien fut agité le passé de cette cité étrangère en pays celtibère « qui connut séismes, sièges et razzias mais sut toujours renaître ». Après Carthage, Rome et les Wisigoths, Lisbonne fut arabo-berbère (716-1147), en conservant l'« enceinte maure ». Reprise par le premier roi du Portugal, le Capétien Alphonse-Henri, Lisbonne redevint capitale en 1255 et elle s'étendit alors sur un espace sept fois supérieur à la Lissabona musulmane. A la fin du Moyen Âge, avec les Grandes Découvertes, la ville-port se mua en métropole universelle et au XVIIe siècle, deux Lisboètes sur dix eurent du sang africain dans les veines. Mme Couto souligne combien, au siècle suivant, un tremblement de terre permit à Lisbonne, qui se voulait déjà « la plus ancienne cité d'Europe », d'en devenir pour cent ans la plus moderne.




Carnet de route

 ACCÈS. Vols quotidiens Paris-Lisbonne sur TAP Air Portugal (tél. : 0-802-319-320), qui dessert également Marseille, Lyon et Nice. Billet A/R Paris-Lisbonne à partir de 1 150 F (236 euros ).

 HÔTELS. Tous les types d'hébergement sont offerts par les cent hôtels lisboètes, du classique « 5 étoiles » tel le Tivoli-Lisboa (1 980 F, 300 euros , la chambre double sans petit déjeuner, tél. : 00-351-21-353-01-81) aux dormidas, chambres indépendantes chez l'habitant (à partir de 100 F,15 euros) via d'honorables établissements comme ceux de la chaîne française Ibis (trois et bientôt quatre enseignes à Lisbonne avec chambre double sans petit déjeuner à 300 F, 45 euros. Réservation en France au 08-03-88-22-22). Quant à l'équipement hôtelier du parc des Nations, il n'est pas encore assez étoffé pour être compétitif.

 TABLES. Prix relativement élevés mais fraîcheur et choix incomparable de poissons au restaurant Café in, rendez-vous des hommes d'affaires gourmets, au bord de la mer de Paille (311, avenue de Brasilia, Junqueira, Lisbonne, tél. : 21-362-62-49/8). On peut se restaurer économiquement sous les frondaisons de Bélem en se préparant des sandwichs de serra-da-villa, fromage aux trois laits (vache, chèvre, brebis), puis goûter, à la pâtisserie de Bélem (84, rue de Bélem), les fameux pasteis de nata, petits cratères de pâte feuilletée remplis de crème brûlée vanillée, fabriqués là depuis 1837 et dont la douceur s'allie bien à la légère amertume d'une bière Sagrès. Les buffets des hôtels Ibis sont abordables et servent une cuisine lusitane allégée mais encore savoureuse.

 LECTURES. Histoire de Lisbonne, de Déjanirah Couto (Fayard, 382 p.). Histoire du Portugal, d'Albert-Alain Bourdon (Chandeigne, 185 p.). Fatima, trois secrets, un message, cahier spécial Edifa, août 2000 (96 p. illustrées). Le Portugais tout de suite !, manuel de conversation par J. Dias da Silva et S. Parvaux (Pocket, 160 p.). Guide Michelin Escapade Lisbonne (130 p.). Guide portugais-anglais du Musée du design, en vente au Centre culturel de Bélem. Rayon francophone à la librairie Bertrand, fondée en 1732, 73, rue Garrett, 1200 Lisbonne.

 MANIFESTATIONS. Chaque mardi et samedi matins, puces lisboètes au campo Santa-Clara. Du 7 novembre au 30 janvier 2001, dans les appartements de Mme de Maintenon, à Versailles, exposition des chefs-d'oeuvre de la collection XVIIIe siècle de la Fondation Gulbenkian de Lisbonne.

 VOYAGISTES. Euro-Pauli (tél. : 01-49-77-28-00) ; Kuoni (tél. : O1-42-85-60-05 ) ; Nouvelles Frontières (tél. : 01-45-68-70-77).

 RENSEIGNEMENTS. Office portugais du commerce et du tourisme (tél. : 01-56-88-30-80). Association du tourisme de Lisbonne (tél. : 00-351-21-361-03-50) : informations en français, notamment sur la Lisboa Card et la Shopping Card, et sur Internet : www. atl-turismolisboa. pt.





Le Monde daté du jeudi 21 septembre 2000


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